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APERÇUS
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LA VÉRITÉ


Pure de tout commencement,
Ardeur ineffable qui veille,
Quintessence sans mouvement,
Sans lieu ni temps, blanche merveille,

C’était, simple, la Vérité.
Beauté totale, ainsi fut-elle,
Superbe dans son unité,
Eblouissante, universelle.

Souffle de Dieu ? Coups du Chaos ?
Force immesurable, mystère...
Du fond des âges sidéraux
Emergea le monde éphémère.

                                      La Vérité de l’absolu             
Répandit en mille semailles
Son corps, emblème superflu,
Aux vents de toutes les batailles.

Beaux, sobres ou étincelants,
Ses lambeaux, fertiles en somme,
Cailloux acérés et brûlants,
Parsèment la route de l’homme.

À cette manne il ne croit plus
Dont disputent en vain les scribes
Mais, de tant de trésors perdus,
Lui reviennent parfois des bribes.
   
Il en joue, allant son chemin,
Ou les glisse au fond de sa poche
Renvoyant, peut-être à demain,
L’heure d’une meilleure approche.

Fable le jour, spectre la nuit,
La Vérité rôde et il tremble
Sachant qu’elle chasse et détruit
La chimère qui lui ressemble.

Puis il compte ses derniers pas
Cherchant la porte des lumières.
L’âge vient. Il guette le glas
Et songe aux énigmes premières.

Il interroge les joyaux
Glanés au hasard de la route,
Chatoiements limpides ou faux,
Les presse de lever son doute,

Las ! pour comprendre, il est trop tard,
Trop pour se convaincre ou s’instruire,
Le monde ultime du départ
Boude qui voulait le traduire.

La Vérité lance au grand jour
Des pacotilles d’espérance.
Ni foi, ni raison, nul amour
Ne profanent sa transcendance.

  ***

  GENÈSE

       Pause ou néant. Rupture. Un monde écartelé...
Acte, temps, distance, matière
Vie à la chaîne, prisonnière...
Graine de conscience, homme ! cherche la clé.

La vérité n’est pas l’idole que tu crois.
Le puits, le masque ni l’écorce
Ne la cèlent, nue et retorse,
À ton regard sevré des leurres d’autrefois.

Rencontre virtuelle, ébauche, devenir,
Nulle fièvre ne la devance.
Clame, mage, son évidence !
Absente, tu ne peux pourtant la détenir.

Désordres, frénésie, effondrements, discords
Agitent, sombre, le passage
Où, fourmillement à l’ouvrage,
Se croisent les esprits et convergent les corps.

Promis aux lendemains de ce chaos mortel
Fins volatiles des contraires,
Naufrages des jours ordinaires
Lancent leur énergie aux limbes du réel.

Recueille-la, rêveur dont le ciel est éteint.
Hors de l’existence captive
Reçois, féconde, positive,
L’onde vague enlevée à l’univers contraint.

Sans visage, sans voix, elle insuffle à chacun,
Venant du cœur de la nature,
L’intention dernière et pure,
Le sens inexpliqué d’un devenir commun.

Le beau, le bien, le juste... Impalpable soutien,
Une flèche aux longues visées
Sauve des sentes malaisées
La faible part de l’être irréductible au rien.

Trop de vigueur, pourtant, se perd aux oripeaux
Des doutes, compromis, mensonges...
Nébuleuse hôtesse des songes,
Ô Vérité, brandis tes antiques flambeaux !

L’appel s’épuise en vain. L’aube ne paraît plus.
Rétive à l’ordre qui la guide,
Marche du Tout, faille du Vide,
La vie hésite, vogue entre deux absolus.

  ***

   HORS DU TEMPS

De chaque instant surgit une présence,
Ordre éphémère et, déjà, souvenir,
Songe éveillé, brûlot de conscience,
Réalité, pierre pour l’avenir.

Pâle halo d’une lumière morte
Ou trait de feu, promesse au monde froid,
L’esprit perdu qu’un flux de vie emporte
À peine éclos, cherche mais rien ne voit.

Son être fuit, étranger à lui-même,
Fragile essor né de jours inconstants :
Chaque matin, par un nouveau baptême
Efface l’autre, et lui brave le temps.

L’identité n’est-elle que mémoire,
Passé diffus, écrin mystérieux
De moments forts, témoignage illusoire,
Scintillements de reflets captieux ?

Le monde est là pour répondre, pérenne,
Au doute humain. Son geste retenu
De la pensée au moindre phénomène
Se développe en acte continu.

Forme, durée, acte, espace, matière,
Mots vaporeux de sèches entités,
N’expriment pas la nature première
Du fait cosmique aux mille vérités.

Totalité, substance universelle,
Corps indivis d’un vaste enchaînement,
Le monde obscur incarne, renouvelle
Maints avatars en son jaillissement.

Chacun voudrait en soi porter le monde,
Le retenir, mais l’existence fond.
Le mouvement génère la seconde,
Batte le cœur, un gouffre lui répond.

Riche invité d’une belle aventure,
L’homme s’impose et pense être le roi,
Si le roi meurt, que son œuvre perdure !
Tel est son vœu, telle n’est pas la loi.

La vanité de laisser une trace
Laisse entrevoir à l’horizon lointain
L’illusion d’une gloire fugace...
Même l’histoire agit sans lendemain.

Humble, innombrable, une foule anonyme
A fécondé la terre d’aujourd’hui,
L’une est beauté que la saison ranime,
L’autre froidure au devenir enfui.

Passé, futur sont effluves de l’âme,
L’instant n’est rien. Hors du temps, éternel,
Le présent veille, uni comme la flamme,
Incandescent, épars comme le ciel.

  ***

  LE CHAOS

    Dons, promesses du ciel, maléfices de l’ombre,
   Simulacres venus de l’espace profond,
    Songes troublent l’esprit, langage vagabond,
     Messages sibyllins que la raison n’encombre.

      Que voilent ces candeurs ? Mensonges, fariboles ?
  Germes de connaissance issus de l’éternel,
  Aumône d’infini faite au monde mortel
    Ou folie, au delà des apparences folles ?

°°° 

 "Proclamons la logique et la nécessité !
Oyez, anges déchus, elfes, tombez vos masques,
Avouez, au rebours des croyances fantasques
L’ordre, pour fondement de toute vérité !”.

Le dogme est séduisant, d’évidence pourvu
Quand l’effet suit sa cause et l’astre son orbite,
Oublieux toutefois du vieil aérolithe,
De ses écarts soudains, prémices d’imprévu.

    Jaillisse l’électron des frontières quantiques,
Les bonds vifs, impromptus de sa fuite en avant
Célèbrent le hasard, aux sources du vivant,
Grand manipulateur des substances cosmiques.

Absurde, l’univers ? Adieu mythes, poèmes...
Non ! Hymnes, demeurez, églogues, restez-nous
Qui révélez du monde âme, gestes, courroux
Mieux que ne le feraient algèbre et théorèmes.

°°° 

Hasard, nécessité disputent dos à dos.
Confrontée à ce choix, la nature est plus fine :
Si l’être, à tout moment, libre, se détermine,
L’engrenage des jours appartient au chaos.

Le siècle de Nerval chantait les papillons,
“Fleur sans tige..., Joyeux nacré..., Sombre phalène...”,
Leurs voltiges riaient à la saison sereine,
Présages, aujourd’hui, de lointains tourbillons.

La fougue qui se fond dans l’infime rayonne :
Le baume d’un regard changera les amours ;
L’histoire passe, un zeste en déviera le cours ;
Une princesse meurt et la foule frissonne.

Comptable du passé, nerf de l’œuvre nouvelle,
Mouvement créateur qu’entretiennent des riens,
Le chaos n’est-il pas “le Père” des anciens,
Celui dont la légende avait paru si belle ?

 Sans faiblesse, sans haine il court, indifférent,
Parmi le flux piteux des actes solitaires,
Les entasse, les roule en forces solidaires,
Remous, vagues, sursauts, tumultes du torrent.

Serait-il anarchie ? Ouvrons plutôt les yeux !
Contrainte ? D’où viendrait, alors, tant de caprice ?
Le chaos jouerait-il, insondable complice,
Au méchant, pour tenir la promesse des cieux ?

***

  VIE COSMIQUE

Chacun ressent en soi l’étrangeté de naître
Unique, solitaire, en charge d’un destin.
Nul ne peut cependant rester sur le chemin
Sans prendre à l’univers la force de son être.
             
Vie ardente, brasier au rêve de monade,
Matière, esprit, lumière entretiennent tes feux,
L’un, fantôme furtif, vacille, se dégrade,
De ses tisons mourants jailliront mille dieux.

Car il se voudrait dieu, se proclame autonome
Celui, pourtant, qui pleure à son tout premier pas,
Il apporte son lot, fondu dans le plérome,
La suite du dessein ne le concerne pas.

D’autres, plus valeureux, dominant leurs vertiges,
Appliquent au progrès des efforts de titans.
Créatrice et relais d’ombres ou de prodiges,
La Vie exulte, flambe, amoureuse du Temps.

  ***

  INCARNATION

Tout dire d’un seul mot, tout voir en une image,
Oui, tout comprendre enfin de la réalité !
La nôtre éparpillée, enjôleuse, voyage,
Et détourne l’esprit au seuil de l’unité.

L’univers, à nos yeux, prolifère et bouillonne
Venant on ne sait d’où, courant à son destin,
Sa geste inachevée au fil du temps s’ordonne,
Formant peut-être un tout sans hier ni demain.

Comment lire l’histoire, abîme de souffrance,
Où fonder l’avenir au dur enfantement
S’ils ne sont que le jeu de notre conscience,
Les berges de son flot, ombres sans mouvement ?

°°° 
       Le possible est, au mieux, la parure d’un rêve,
L’impossible, un assaut qui jamais ne s’achève,
Leurs éclats prometteurs encouragent la foi
Puis la lumière tremble... , il reste toi et moi.

Le monde s’est fermé sur notre désarroi.
Il étouffe les cris du “comment”, du “pourquoi”.
La quête se poursuit, pourtant, pleine de sève,
Riche d’un vieux bagage et du jour qui se lève.

°°° 
                         
La fièvre du chercheur fouille les horizons
De l’immense à l’infime et jusqu’au premier âge,
Certains comprirent seuls, au rythme des saisons,
Ce que les instruments nous donnent en partage.

L’homme, traquant le tout, frôle les profondeurs,
Regard de la nature aux sources de son être,
Il en voit les contours, les charmes, les splendeurs
Et se sent égaré, comme un trésor sans maître.

Il incarne le monde, en ouvre les secrets,
Jamais n’en connaîtra la force suzeraine
Mais cédera toujours aux démons indiscrets,
Le cœur épouvanté, la raison souveraine.

  ***

  CAGE VERMEILLE

Les lendemains, nus comme pages blanches,
Rêves ouverts à l’esprit novateur,
Ne donneront que brindilles ou branches,
Rameaux captifs de l’arbre créateur.

Il n’est pensée, ouvrage nés du monde
Pour éluder ni changer son parcours,
Il n’est lumière, corps, lieu ni seconde
Pour échapper à l’oeuvre de toujours.

Temps de routine et de monotonie
N’ont su freiner le flot du changement,
Lueurs, éclats, brillances du génie
Ne sont que feux d’un profond mouvement.
              
La nouveauté, reniant ses racines,
Jette son cri puis à jamais s’endort.
Porteur des ans, foyer des origines,
Un même souffle attise tout effort.

Il a d’abord épandu la poussière
Puis façonné les astres dans le ciel,
Il a fondé la terre nourricière,
Conçu la vie, aux marges du réel.

L’âme enfermée au cœur de l’apparence
Jour après jour suit, morne , son chemin.
Parfois fiévreuse, osant l’exubérance,
Elle s’évade au delà de l’humain.

Elle entrevoit alors mille merveilles,
Gains supposés de son propre labeur,
Fruits, cependant, de forces nonpareilles,
Jeux éternels de nombre et de rigueur.

Quête inutile aux sources de l’aurore
Cherchons, heureux au prix d’un seul regard,
Ensorceleuse, auguste mandragore,
La vérité, partout et nulle part.

  ***

  LE PROGRÈS

La pensée accommode aux caprices du temps
Les leçons de l’histoire et la marche du monde.
Le soleil en hiver, les neiges du printemps,
Loin de la démonter, stimulent sa faconde.

°°° 

La bible fustigeait sa croqueuse de pomme,
Belle image ingénue au charme d’autrefois.
Homère, au seuil des ans, immortalisa l’homme
Avant qu’il ne devînt prolétaire ou bourgeois.

Dieu qui semait l’espoir dans toutes les chaumières
S’éloigne doucement, poussé par la raison.
Depuis qu’a rayonné le siècle des lumières
Les yeux se sont épris d’un nouvel horizon.

Ils ont vu le progrès, célébré sa démarche,
Déchu le philosophe, honoré le savant
Lui-même malmené comme un vieux patriarche,
Comme l’était l’oracle au dire décevant.

Inexorablement s’étale la misère,
L’ignominie aveugle écrase l’innocent,
Le savoir n’y fait rien, nébuleux ou sévère...
Ainsi fut renvoyé, déjà, le Tout Puissant.

Tardif ou scandaleux, rarement légitime,
Renégat, le progrès s’en remet à demain,
Les siècles ont vécu dans l’horreur et le crime,
Nul autre n’est promis sans Néron ni Caïn.

Que de chemin, pourtant, depuis l’aube des âges,
Que d’ouvrage accompli sans que l’homme fût né !
Lui qui pourrait goûter le fruit des héritages,
Seul, face à l’avenir, se juge infortuné.

Après l’égarement, vienne l’heure sereine,
Celle de l’esprit fort, du coeur moins oppressé !
Le temps de l’utopie à la course incertaine
Présage devant nous mille fois le passé.

°°° 

La rude patience aux longs enchaînements
Ignore les courroux du brave qui s’apprête
À repenser le monde et ses comportements,
Rêveur prométhéen d’une folle conquête.

Le génie est sans loi. Fulgurants ses éclairs,
Présomptueux défis, provoquent la nature,
Etonnent la raison, transgressent l’univers,
Soubresauts anodins d’humaine créature.

Gestes, bonds de l’histoire enjambent le réel
Au nom d’un idéal ou de forces cupides,
Le rythme impérieux de la terre et du ciel
Rappelle à son vouloir les peuples et leurs guides.

Le progrès ne besogne enfer ni paradis.
Mouvement continu d’un précaire équilibre
Il émerge, s’impose ou renonce, incompris,
Ebauche l’avenir et l’homme se croit libre
        
Modèle, truchement de la complexité,
L’homme assume un relais ou, peut être, une chance,
Qui, symbole dressé contre l’absurdité,
Témoigne du progrès par sa seule présence.

S’il ne porte un projet, l’être n’est que tourment,
Vacuité de l’âme, engeance d’une époque
Où chacun se suffit comme aboutissement,
Théâtre confiné d’un morne soliloque.

Le progrès multiplie aise, biens et conforts
Mais tarde à susciter le règne des idées.
Sagesse et connaissance, au prix de longs efforts,
Doivent pour le convaincre être mieux accordées.

°°° 

Déjà l’humanité, présence temporelle,
Aspire au Walhalla dans un monde achevé.
En lice le progrès, fait de fièvre éternelle,
Plastronne, conquérant, bienfaiteur improuvé.

***

NOSTALGIE DES AILLEURS

Des fantasmes de l’impossible
Aux faux-fuyants de la diversité
L’âme quête l’inaccessible
Et, brûlant ses regrets, hume la liberté.

Goutte du temps, le temps l’entraîne,
Draine ses choix, formes du devenir,
Ses choix forment, lourde, une chaîne,
Menus chaînons que rien ne saura désunir.

L’âme, complaisante ou rebelle,
A tout moment doit frayer son chemin,
Parmi tant d’autres devant elle
Emprunte l’un puis va, vogue vers son destin.

Ainsi roule l’ordre du monde,
Suite d’instants promis au renouveau,
Noeuds vifs que l’histoire féconde,
Un seul fil, à nos yeux, sort de cet écheveau.
C’est celui de la certitude,
Il court, porteur des actes accomplis,
Et trace dans la solitude
Un long parcours jonché de semence et d’oublis.

Où sont désordre, fantaisie,
Printemps perdus des avenirs meilleurs ?
Vienne un souffle de poésie !
Demain nous les ramène aux vents légers d’ailleurs !

Nostalgique de l’impossible,
Prise aux détours de la diversité,
L’âme entrevoit l’inaccessible
Où meurt son horizon, où point la liberté.

  ***

  BUISSON ARDENT
   
Aux jours anciens, l’extase du poète
Ou sa souffrance virent Dieu
Qui burinait la Loi de la planète
Sur deux tables, au coin du feu.

Buisson ardent, foyers mystiques, flammes,
Lumières du labeur divin,
Chauffant les coeurs, émerveillant les âmes,
Ouvrirent longtemps le chemin.

Leur souvenir s’endort. Péché, Genèse,
Foudres du jugement dernier
N’agitent plus, tant lasse est l’exégèse,
Les cendres tièdes du brasier.

L’heure a vécu des pompeuses promesses
Que l’homme recevait du ciel.
La raison-reine aux fécondes prouesses
Veut percer l’ombre du réel.

Regards abstraits, formules algébriques,
Aux fondements de l’univers
Ont aperçu des mondes fantastiques,
Supercordes, vie à l’envers.

Vers le cosmos aux sources de son âge
Progressent ainsi les savants
Dont les calculs où se perd le langage
Pourfendent l’espace et le temps.

S’ils vont trop loin, la vérité recule
Narquoise et déguerpit ailleurs,
Aux lieux secrets où l’infime pullule,
Où d’une, elle devient plusieurs.

Don de l’amour et de l’intelligence,
Le message des songes vieux
Fit rayonner, jadis, une évidence...
L’ordinateur fera-t-il mieux ?

Son acte preste appréhende un modèle
Et le conduit à petits pas
Vers des sommets de logique formelle
Que la foi ne fréquente pas.

Insaisissable, errante, la nature
S’offre, se dérobe et s’enfuit.
L’homme suppose en elle ordre et mesure
Que, peut-être, seul il construit.

***

LA PENSÉE

De l’anthropomorphisme, Homère et Xénophane
Ont proclamé les vertus et l’erreur,
L’un, poète divin, philosophe profane,
L’autre, caustique, ardent contradicteur.

Il gronde et le passé s’abîme, dérisoire.
Trop de héros se mesurant aux dieux
Les révèlent falots, nés d’un monde illusoire,
Fils de la terre et non maîtres des cieux.

L’élégiaque, alors, entonne, idéaliste,
L’hymne à son Dieu, garant de l’Unité,
Principe omniprésent, symbole panthéiste
De l’existence et de l’immensité.

Fureurs de l’Iliade, exploits de l’Odyssée
Glorifiaient le moi, l’être divers.
Auquel de ces discours s’ajuste la pensée ?
Propre de l’homme ? Âme de l’univers ?

°°° 
                     
N’est-elle qu’un effet, le semblant d’autre chose ?
Vient-elle avant tout acte créateur,
Force abstruse, prodige allant sans frein ni pause,
Geste fécond, flux régénérateur ?

Vers le but incertain, humaine elle chemine,
Cherche sa voie et ne sait toujours pas
Quelle emprise la tient, quel oeil, à l’origine,
Ayant visé, s’attarde sur ses pas.

L’ignorance la hante et pourtant elle crée,
Libre - si peu ! - d’enrichir son lopin,
Se perd au firmament, rêve de l’empyrée
Pour s’éveiller, prise aux rets du destin.

Besoin d’évasion, débordement de vie
Ou “don du ciel” à nous seuls dévolu,
Conscience de soi, sa quête inassouvie
Cueille l’espoir, appelle l’absolu.

°°° 

Quiconque la nourrit la voudrait éternelle...
Mémoire nue avant nos premiers jours,
La pensée, au delà, se ressouviendrait-elle
Quand le néant absorbe nos parcours ?

Elle occupe les corps, en chacun d’eux s’exprime,
Jalons obscurs, point ne leur appartient,
L’individu périt, se dissout, anonyme,
Elle s’envole et jamais ne revient.

Restent pour seuls témoins de sa course sans âge
L’ordre et le feu l’un par l’autre exécrés,
L’équilibre parfait, l’infaillible engrenage,
L’ubiquité de ses choix inspirés.

La nature est son œuvre et le tout son domaine.
Part du cosmos où rien n’est singulier
Sa puissance l’accroît, sa mouvance l’entraîne
Et son secret nous nargue, familier.

°°° 
                        
Occulte ailleurs, en nous sa présence est entière,
Etrangeté que génère son fruit,
Essence inconnaissable : esprit, onde, matière ?
Fin ou moyen ? Transcendance ou produit ?

L’esprit, pure entité, référence magique,
Evanescent... comment le récuser
Ce souffle, séraphin que la raison n’explique ?
Ce dogme dur... pourquoi nous l’imposer ?

Au coeur de la matière, au premier point de l’onde
Vibre, dit-on, infime et différent,
L’espace où baigneraient les prémices du monde,
Où la pensée affleure et se répand.

Hypothèse... et pourtant ! Emergence mentale,
Mince échevette au sein de l’écheveau
La pensée apparaît, infinitésimale,
Matérielle aux lobes du cerveau.

°°° 

L’homme qui façonnait le ciel à son image
N’en serait plus que brève exhalaison,
Diversité surgie aux franges de l’ouvrage,
Produit des lois, objet de la raison.

Rompent croyances, goûts, modes, humeurs légères...
Lois et raison demeurent, cadre sûr,
En tous temps et tous lieux immuables repères,
Concept infus, d’emblée ensemble mûr.

Par elles, la pensée instrumente, dirige,
Conclut ses choix, en affirme le sens,
Cohérence complexe, enchaînement, vertige,
Indifférente au soufre et à l’encens.

Clone de la pensée, homme ! qu’en peux-tu dire... ?
Où conduit-elle... ? Un génie, Augustin,
Combinant doute et foi répond, dans un sourire :
“ L’Infini trouve en lui-même sa fin ”.

***

  RONDE

Traits du génie humain, pensée, actes et dires,
Lumières de la terre exhortent le passé
En vain. L’ombre des morts, individus, empires
Dont l’exemple lointain se perd, controversé,
Ne garde d’autrefois que fables ou délires.

L’introuvable parcours, des sages l’ont tracé
Mais baste le savoir, peste soit de Cassandre !
Imprudents novateurs, d’autres l’ont effacé.
La vie, à leurs leçons, refuse de se rendre
Et chacun subit seul l’ordre recommencé.

Si perdurait l’esprit, si le corps n’était cendre,
La mémoire saurait les vertus et laideurs
Et l’homme serait mûr quand il doit tout apprendre
Puis tout abandonner au temps, à ses raideurs,
Au long cycle des jours que nul ne peut attendre.

Vivre ! Quitter le monde ! Oublier ses lourdeurs
Et l’ennui familier et l’avenir morose,
Apprivoiser le ciel, gagner ses profondeurs
Où la banalité, douce métamorphose,
Prend le charme irréel des divines splendeurs !

Le rêve passe. Espoirs, chants de l’apothéose
N’ont pas interrompu la ronde du destin.
L’homme voudrait s’enfuir, inventer autre chose...
La nature l’enferme aux murs de son jardin,
Narcisse adorateur de son image enclose.

Sans repère ici-bas pour frayer son chemin
Il reporte la gloire au-delà... si Dieu l’aime !...
Sinon, recru des ans, remâche son chagrin
Face au néant mais doute, au terme du dilemme,
D’une absence absolue, oublieuse et sans fin.

Le ciel, ultime but, l’histoire, long poème
Exaltent joliment l’illusion de soi
Dont le défi, l’erreur, l’anarchie elle-même
Se font fatalités d’un essor, d’une foi,
Forces du lent progrès que la constance essaime.

Contingence des jours, bonheur et désarroi
Prodiguent vanités, vogues, larmes et rires,
À l’échelle du temps l’ordre reste la loi.
D’autres âmes viendront ni meilleures, ni pires,
Qui feront  mieux, peut-être, et ne sauront pourquoi.

*** 

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