-->

Menu

RETOURS
----------
 

REGARDS

Les yeux n’ont qu’un regard. Il cerne mille choses,
Découvre leurs couleurs, formes et mouvements,
Mais ignore la vie et ses métamorphoses
Qu’enferme la matière aux profonds remuements.

L’esprit seul, inspiré, lieu de l’intelligence,
Siège de la raison, pénètre leur secret ;
Il demeure lointain, glacé d’indifférence,
Devant le désarroi trop pudique et discret.

À quoi bon retourner ce visage tranquille,
Qu’importe la détresse aux appels retenus ?
Le feu des sentiments, la souffrance docile
Endurés sans témoin étouffent, méconnus.

La froide intelligence aspire aux certitudes,
Les effleure parfois dans un élan vainqueur ;
Insensible aux détours des proches solitudes
Elle va droit au ciel et néglige le cœur.

***

ÉCHANGES

La plus froide solitude,
Aux rencontres du passé,
Dès le premier pleur versé
Retrouve la multitude
Qui dormait dans son désert,
Pleine d’une certitude :
Jamais amour ne se perd.

Une innombrable présence,
Richesse de chaque jour
Ou blessure sans retour,
Enveloppe l’existence.
Quelque méchant la dessert,
Un proche la récompense...
Jamais amour ne se perd.

Une pâquerette éclose
Frêle, charme le regard...
La nature, mieux que l’art,
Exalte et métamorphose
Un coeur simple et grand ouvert
Aux secrets de toute chose.
Jamais amour ne se perd.

Parfois, le malheur inspire
Une forme de pitié
Douce comme l’amitié.
Les mots ne savent le dire ?
Foin de langage disert !
Une œillade peut suffire...
Jamais amour ne se perd.

Drames, fléaux de l’histoire,
Combats de chefs indécents,
Sacrifices d’innocents,
Meurtrissent notre mémoire.
Ceux qui, fervents, ont souffert
Nous laissent légende et gloire.
Jamais amour ne se perd.

Où va l’élan de tendresse
Qui maintient le couple uni ?
Un tourbillon d’infini
S’empare de sa jeunesse
Rompant ainsi le concert.
Ô mystère, sois béni !
Jamais amour ne se perd.

Échanges de la matière,
Commerce du sentiment,
D’un même et seul mouvement
Engendrent corps et lumière.
Quark à tous venants offert,
Âmes soeurs dans la chaumière...
Jamais amour ne se perd.

***

La pensée ondoyante, au gré de ses humeurs,
Domine la raison, renouvelle la vie,
Se protège du monde, oubliant ses clameurs,
Libre de toute entrave, innocente, ravie.

Mirages ingénus, les triomphes lointains
Fleurissent l’avenir de belles espérances,
Le temps s’écoule, tors, vers d’autres lendemains
Dont la réalité brise les apparences.

Le charisme auréole un prêcheur d’idéal,
Exhorté par la foule à vaincre la routine
Il accepte, il agit, tombe du piédestal,
Le charme se défait aux cris de Mélusine.

Radieuse, l’idée illumine un esprit,
Sa force créatrice appelle des apôtres.
Le chant du renouveau sera bientôt proscrit,
Son accord dissonant nuit au concert des autres.

Le songe est un refuge aux humbles esseulés,
Ouvert à la ferveur des enfants de la terre.
Les regrets, les tourments, les amours dépeuplés
Etouffent ses rayons d’un halo de misère.

Meneur d’hommes, rêveur, philosophe, martyr,
Votre foi se nourrit au souffle des poètes,
Vous façonnez l’histoire, osez son devenir
Avant de disparaître, oubliés ou prophètes.

***

  L’ACTE

La nature s’ordonne avec simplicité
Sous son propre regard mais c’est celui de l’homme.
L’innombrable détail, l’inaccessible somme
Disséminent l’esprit dans la complexité.

Plénitude, harmonie, extase d’un instant
Emplissent de lumière une longue évidence,
Fougue, génie, effroi rompent cette apparence
Et couvrent l’univers d’un mystère envoûtant.

La vie a foisonné sans demander pourquoi,
De sa force a surgi l’éclat de conscience,
Disparurent alors candeur, insouciance,
La peur troubla le rêve et le doute, la foi.

°°° 
                          
Ruth certain soir d’été, reine en son paradis,
Sublimait les trésors de la voûte étoilée,
Les mêmes qui, plus tard, damneront Galilée
Coupable d’offenser de vieux salmigondis.

Alexandre, d’un geste, a su trancher le noeud
Qui tenait son armée aux portes de l’Asie,
Geste simple et, pourtant, acte de frénésie,
Honneur du monde grec où l’histoire se meut.

Père du mouvement, maître de l’absolu,
Quintessence d’amour, Dieu s’imposait au sage.
La raison, aujourd’hui, mesure son message
Aux savoirs inconstants du docte irrésolu.

°°° 
                      
Prends, contemple, agis, cherche, ainsi traque le tout,
Des réponses viendront, pires que l’ignorance,
Poète, aventurier claironnent l’espérance,
Philosophe ou savant pense et rien ne résout.

Veules seraient pourtant le repos, le refus,
Le rejet souverain des clameurs anonymes,
Les fantasmes sont vrais, les erreurs légitimes
Quand le progrès se forge à leur foyer diffus.

Témoin de l’infini, l’âme aux mille parcours
Va, se perd et revient, puis un autre envisage.
Irréversible, entier, l’acte est le seul visage,
L’exigence ou l’aveu, sans gage ni recours.

***

HUMBLE PENSEUR

L’inconstance de l’âme émousse les idées
Egrenant leur sagesse au vent du renouveau,
Certaines vont périr, lasses, désaccordées,
D’autres portent la sève au coeur du baliveau.

Ainsi monte l’esprit. Sa féconde ramure
Prodigue des fruits d’or, couvre un fonds incertain,
Tient l’homme pour savant, maître de la nature,
Chacun lève sa part, agit en souverain.

Devons-nous regretter les âges de mystère,
Pleurer les temps obscurs sans savoir ni raison ?
Le troupeau des humains nus, courbés vers la terre,
Attendait de l’oracle aurore et floraison.

Rare était le penseur, illustre son génie,
Chantre de l’univers et des bons sentiments.
La pensée aujourd’hui, diffuse et aplanie,
Banale, est reléguée au rang des instruments.

C’est l’outil prometteur et vain du solitaire
Longtemps épris de gloire, étouffant ses regrets,
C’est celui d’une foule forte et volontaire
Que l’humanité lance aux marches du progrès.

Le penseur autrefois triomphait, vénérable,
Frère lointain de l’homme, émissaire des dieux.
Ses prochains, désormais, le donnent pour semblable,
Pour docile interprète, émule de leurs vœux.

***

  COMMUNIQUONS

Aussi loin qu’il nous en souvienne
Piètres furent morale et droit.
Ton aventure, c’est la mienne,
Nul n’a créance ni ne doit.

Usant de communes richesses
Nous peuplons l’unique décor,
Eprouvons pareilles faiblesses
Et couvons le même trésor.

Notre lot est-il équitable ?
Instamment, nous revendiquons...
Apprenons à vivre, que diable !
Ouvrons nos cœurs, communiquons !

°°° 
                          
Besoin, nécessité, l’échange n’a pas d’âge,
Multiple dans la forme et par le contenu,
Signes, sons, instruments, prodige du langage
Chassent la solitude, abordent l’inconnu.

Mouvements et clameurs marquèrent la présence
Puis survinrent les mots, messagers de l’esprit,
Chacun put exprimer sa propre différence,
La pensée, affranchie, élabora l’écrit.

Thot en fut l’inventeur. Divinité de Thèbes,
Amon se fit distant : <<Découvreur sans rival,
Ton art sera funeste. Orgueil de faux éphèbes
Le savoir galvaudé propagera le mal.>>.

Rarement nous convainc la sagesse alléguée.
L’écriture a commis le pire et le meilleur,
Longtemps envahissante, à présent reléguée
Avant d’être immolée au progrès gaspilleur.
   
Les paroles du dieu la disaient trop facile,
Comparse de l’oubli, source d’illusions,
Véhicule puissant d’ignorance imbécile...
Elle allait préparer d’autres invasions.

L’image, de tout temps, nous fut enchanteresse,
Ornement d’une grotte ou d’un palais, tableau ;
Elle appelle aujourd’hui passivité, paresse,
Barbouilleuse d’écran, brouilleuse de cerveau.

Inévitable intrus, voici le téléphone,
Sur toute la planète interfèrent nos voix,
Routine rassurante, usage monotone,
Compagnon des cœurs secs et des langues de bois.

L’ordinateur, enfin, fleuron de la technique,
Opérateur zélé, cerne tous les pouvoirs.
Tel qui se croit le maître en est le domestique,
Serviteur abusé d’anonymes vouloirs.

°°° 

Halte ! Pourquoi mener querelles,
Pourquoi jeter un oeil chagrin
Sur des trouvailles et modèles
Conçus dans l’ordre du destin ?

Fidèles à leur premier rôle,
Ils façonnent l’humanité
Mais seront demain, sans contrôle,
Fers de la collectivité.

Gardons à l’homme sa nature,
La profondeur des sentiments,
L’art de régler à sa mesure
La maîtrise des changements.

°°° 

Les uns parlent, nombreux, qui n’ont rien à nous dire,
Les autres ne sont là que pour les recevoir
Sommés comme pantins de pleurer ou de rire,
De zapper par ennui, de cliquer par devoir.

Est-ce communiquer ? Non à ces maléfices !
Revigorons nos coeurs et âmes endormis,
Les manques d’aujourd’hui sont peut être prémices,
Ebauches d’un projet qui nous ferait fourmis.

Que s’accomplisse ainsi le sort de notre espèce,
Aucun individu, jamais, ne le saura :
Le groupe vivra seul la joie ou la tristesse
Et chaque conscience au groupe appartiendra.

Nécessité, hasard, démarche volontaire
Nous ne savons comment l’avenir intervient ;
Tel que nous l’espérons, projetons de le faire,
Il n’est fatalité qu’un rêve ne retient.

Nous rêvons de bonheur : “Se connaître soi-même”,
À Delphes triomphait l’illustre vérité,
Soleil inaccessible, admirable poème,
Leçon de tolérance et de fraternité.

Tout homme qui se cherche approche son semblable,
Partage sa misère éprouve ses émois,
Se comporte en égal, sans recours pitoyable
Au joug de la machine, aux rigueurs de nos lois.

Le temps presse d’aimer, de croire à l’être libre,
L’innocence arrachée au règne du plus fort
Devra donner au monde un meilleur équilibre,
Chacun prouvant à l’autre estime et réconfort.

L’autre, était-ce bien toi, confondu dans la foule,
Présence indifférente aux regards étrangers ?
Temps et lieu réunis le sablier s’écoule,
Nous nous dévisageons, ensemble passagers.

°°° 

Ami, les charmes du voyage
Sans oubli, fuite ni refus,
Tu les trouveras au village,
Exempts de fantasme et d’abus.

Du savoir ne pas trop attendre,
Tout embrasser n’est pas pour toi,
Mieux vaut bien partager que prendre,
Ainsi prônent raison et foi.

Plutôt que disperser nos âmes
Ailleurs, au vent des paradis,
Rapprochons-les, forces et flammes,
Essayons de vivre au pays.

***

  JOURS MEILLEURS
 A Pierre et Edel
1-5-99

                                       
Les jours se font meilleurs, le ciel plus caressant
Voici le mois de mai, ses premières cueillettes...
Si le bonheur était au bout de ces fleurettes
Je les multiplierais par dizaines, par cent !

Vous l’avez attendu car il était absent.
Doucement, il revient. Messagères discrètes,
Tiges du renouveau, strophes bien imparfaites
Murmurent son retour au grand convalescent.

L’épreuve surmontée, il reste le courage
Et l’amour attentif et, séduisant présage,
Votre sourire à deux qui n’a jamais faibli.

Déjà, bravant le mal sous l’allure légère,
Il s’était autrefois révélé salutaire.
Son charme bienfaisant s’est encore accompli.

***

  LUMIÈRE GRISE

L’horloge sonne. Une heure plate
A rattrapé le temps enfui.
Tintinnabule l’automate
Au long scandale de l’ennui.

Son timbre vibre, carillonne !
Nulle étincelle ne répond
À la complainte monotone
D’existences qui se défont.

Elles ont oublié leur âme
Et traînassent avec dépit,
Survivances que rien n’enflamme,
Paresseuses, sans appétit.

La routine, l’accoutumance
Rigides comme le savoir
Les tiennent dans l’indifférence,
Aveugles qui ne veulent voir.

Puisse un doux regain de jeunesse
Iriser les anciens décors
Dont frimas, torpeur et tristesse
Ont lentement terni les ors !

Va, lumière des choses grises,
Dispense tes rayons soyeux
Sur les charmes et les surprises
Qui sommeillent au fond des yeux,

Sois le refuge et l’énergie
Dressés contre l’ennui des jours,
Sois le miracle ou la magie
Des intemporelles amours.

***

  CANDEUR

Omnia fanda, nefanda, malo permista furore
Justificam nobis mentem avetere Deorum
Catulle*
(“Par nos fureurs mêlés l’innocence et le crime
ont détourné de nous l’âme juste des dieux”)

Un sourire, un regard, un geste, une parole,
Messages d’un cœur simple, ouvert aux malheureux,
Offrent à l’oublié que plus rien ne console
Une présence proche, un signe chaleureux.

Mais les larmes, en vain, ont inondé le monde,
Indignes des plus forts. Penseurs et militants
Professent le refus, la révolte qui gronde
Unit d’un même espoir victimes, combattants.

Le sang de l’idéal grossit le sang du crime.
Au nom de l’innocence, il invoque la paix.
Sa gloire étouffera la misère anonyme,
Sans pitié ni remords, meurtrière à jamais.

C’est le cycle insensé d’imposture et de guerre
Livrant à tous les maux l’homme désemparé,
Contre voeux et raison l’histoire persévère,
Sûre comme la vie au désordre inspiré.

Héritière d’abus, d’ignorance, de haine
L’humanité peut-elle, avant d’être aux abois,
Ménager la nature, esclave souveraine,
Si longtemps malmenée au mépris de ses lois ?

Le savoir ou la foi, le droit, la violence
Entonnent faussement la chanson du bonheur,
La fredonnent parfois mieux que leur impudence
Un sourire, un regard, petits gages du coeur...

* Cité par Montaigne - “ Essais ” - (Traduction du texte latin par Albert Thibaudet,
    Bibliothèque de la Pléiade, édition de 1939, page 1011).

***

RÉVOLTE VAINE

“Et l’obscur ennemi qui nous ronge le cœur
Du sang que nous perdons croît et se fortifie”
 Charles Baudelaire

Usurier trop habile à suivre son dessein
Le monde prête vie aux êtres mais ne donne,
Parfois la plante pleure et l’animal frissonne,
L’homme seul se révolte, orgueilleux spadassin.

Cri d’impuissance ou choix d’un esprit raisonneur
La révolte, parmi tant de forces obscures,
Gronde en lui, le soulève au mépris des blessures...
La colère est son lot, le défi son honneur.

L’homme s’oppose à l’homme, écrase son égal,
Agressif ou vengeur, ennemi de soi-même,
Apostrophe ses dieux, les frappe d’anathème
Puis disparaît vaincu, pathétique et banal.

Respectable est le temps des courages perdus,
Des combats généreux contre vents et chimères.
Le doute a triomphé des causes mensongères
Qui condamnaient les coeurs aux dévouements indus.

C’est l’âge de raison, celui d’humbles savoirs,
Des vœux insatisfaits pour qui ne peut attendre,
L’âge de l’esprit mûr, soucieux de comprendre,
Fragile, cependant, de trop minces pouvoirs.

Fuite sans horizon, la révolte se perd
Rouge du sang des purs, indigne dans l’outrance.
Sourd aux vaines fureurs, le monde est patience
Et déroule, insolent, son fastueux concert.

*** 

Retour à l'accueil